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Validité et efficacité des PV de constat d’Huissier de justice sur Internet : attention aux risques de sanctions

Elodie Plard, Pauline Vigreux & Claire Messié

Validité et efficacité des PV de constat d’Huissier de justice sur Internet : attention aux risques de sanctions

En matière de contentieux lié à un/des droit(s) de propriété intellectuelle (« PI »), il est parfois indispensable de faire constater par un Huissier de justice la preuve des faits reprochés, notamment lorsque cette preuve est accessible sur Internet.

C’est pourquoi les Huissiers de justice sont régulièrement mandatés pour diligenter des constats sur Internet, matérialisés par un procès-verbal (« PV ») de constat. Les PV de constat d’Huissier de justice sont en effet très efficaces en tant que mode de preuve, car ils établissent de façon certaine les faits qu’ils constatent : ils font foi jusqu’à preuve contraire.

Encore faut-il que ni la validité du PV de constat ni son efficacité (force probante) ne puissent être remises en cause.

Dans le cadre de contentieux relatifs à la PI impliquant le recours à ce mode de preuve, la jurisprudence a récemment apporté quelques précisions quant aux conditions requises pour assurer la validité ou l’efficacité des PV de constat d’Huissier de justice effectués sur Internet.

1) Tout d’abord, un PV de constat peut être annulé si l’une de ses conditions de validité fait défaut.
L’article 648 du Code de procédure civile (« CPC ») impose certaines mentions obligatoires devant figurer sur le PV de constat à peine de nullité. Pourra ainsi être sanctionné par la nullité, suivant le régime des exceptions de nullité propres aux actes de procédure,, le PV de constat qui ne respecte pas les mentions prescrites par cet article, sous certaines conditions.

La Cour d’appel de Paris a toutefois récemment nuancé les exigences édictées par l'article 648 du CPC, en précisant que ce texte n'impose pas à l'Huissier de justice de signer chaque page du PV, l'acte devant comporter ses prénoms, nom, demeure et signature afin que l'auteur de l'acte puisse être clairement identifié, ni d’y apposer son tampon (CA Paris, Pôle 5, chambre 1, 19 Janvier 2021, n° 18/21115).

Plus rarement, un PV de constat d’Huissier pourra être annulé pour vice de fond, sur la base des exceptions de procédure propres aux nullités de fond, pour défaut de capacité ou de pouvoir (par exemple, peut être sanctionné par une nullité de fond le fait pour l'Huissier de justice d'instrumenter à l'égard de ses parents et alliés, en application de l'article 1 bis A de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 : CA Toulouse, 3e chambre, 26 Octobre 2021, n° 20/03195 ; Cass. 1re civ., 31 mai 2007, n° 06-12.173).

2) Ensuite, le respect de certaines formalités assurent aux PV de constat leur force probante, et leur évite ainsi d’être écartés des débats (et non annulés, malgré la terminologie parfois adoptée). Ces conditions d’efficacité des PV de constat ont été précisées notamment par l’article 1er de l'ordonnance n°45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des Huissiers de justice, par la jurisprudence, ainsi que par la norme AFNOR NF Z 67-147.

L’article 1er de l'ordonnance précitée, qui consacre notamment les obligations de loyauté, d’objectivité et d’impartialité s’imposant à l’Huissier de justice lors de ses opérations de constat sur Internet, dispose notamment : « Les huissiers de justice (…) peuvent, commis par justice ou à la requête de particuliers, effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter ». Peut donc être écarté des débats le PV de constat qui ne respecte pas les conditions prescrites par cet article (outre la possibilité, comme évoqué supra, d’obtenir la nullité pour vice de fond d’un PV de constat : par exemple, le fait pour l'huissier de justice d'instrumenter à l'égard de ses parents et alliés - CA Toulouse, 3e chambre, 26 Octobre 2021, n° 20/03195 ; Cass. 1re civ., 31 mai 2007, n° 06-12.173).
D’ailleurs, la jurisprudence a récemment précisé les contours des obligations de loyauté, d’objectivité et d’impartialité s’imposant à l’Huissier de justice, en estimant que le simple fait (i) d’indiquer la capture d’une page et (ii) de constater une absence de mention de collecte de cookies en mentionnant les clicks effectués, relève bien d'opérations matérielles de navigation dûment précisées, et donc de constatations purement matérielles (CA Paris, 5 juill. 2019, n° 17/03974).
De même, si l’Huissier de justice ne peut accéder à un lieu virtuel privé ouvert au public sans avoir décliné ses identité et mission, (pas plus qu’il ne peut emprunter les identifiants de son mandant), l’utilisation d’une adresse Internet faisant apparaître sa qualité suffit à considérer que l’Huissier de justice a décliné sa qualité d’officier ministériel (CA Paris 23 novembre 2021, n°21/02336).
La Cour d'appel de Paris a par ailleurs admis l’efficacité d'un PV de constat réalisé sur le site Internet d'archivage web <archives.org>, opérant ainsi un revirement total par rapport aux décisions rendues sur la question par le passé (CA Paris, 5 juillet 2019, n° 17/03974 – CA Paris, 5, 2, 4 oct. 2019, n°17/10064).
Attention toutefois, si rien n'empêche un Huissier de justice de réaliser une simple capture d'écran de la page constatée, ou même d'enregistrer cette dernière (TGI de Marseille, 2ème ch. civile, jugement du 5 février 2019), les photographies illustrant les constats d'Huissier de justice doivent être exploitables. A défaut, l’acte est dépourvu d’efficacité (Cour d'appel, Paris, Pôle 1, chambre 2, 5 Juillet 2018 – n° 17/18968).

La jurisprudence a également précisé les conditions assurant la force probante des PV de constat d’Huissier de justice effectués sur Internet : des prérequis techniques, garantissant la réalité des éléments stockés sur le serveur visité, ont été édictés en 2003 (TGI Paris, 3e ch., sect. 1, 4 mars 2003 n°00/16090).
Ainsi, pour voir reconnue la force probante de son constat sur Internet, l’Huissier de justice doit notamment « annexer les extractions auxquelles il a été procédé » (CA Paris, pôle 5 - ch. 11, 13 mars 2020, n° 17/09287). Par ailleurs, la présence du cadenas URL ne dispense pas l'Huissier de justice de vérifier la suppression des fichiers temporaires, cookies, historique de navigation, mémoire cache, connexion au service proxy (CA Toulouse, 3e chambre, 26 Octobre 2021, n° 20/03195).
La sanction attachée à l’inobservation de ces prérequis techniques jurisprudentiels n’est pas la nullité du constat mais son défaut de force probante (CA Toulouse, 3e chambre, 26 Octobre 2021, n° 20/03195), étant précisé que la production d’une attestation de l’Huissier de justice postérieure ne suffit pas à régulariser l’acte (CA Bordeaux, 20 nov. 2018, n° 16/06735).

Enfin, le 11 septembre 2010 est parue la norme NF Z 67-147 sur le « mode opératoire de procès-verbal de constat sur Internet effectué par Huissier de Justice ». Ce document fixe les bonnes pratiques à suivre lors de la procédure de constatation (cette norme peut être achetée sur le site de l'Afnor : https://www.boutique.afnor.org/fr-fr/norme/nf-z67147/mode-operatoire-de-procesverbal-de-constat-sur-internet-effectue-par-huissi/fa167706/1089). Cette norme reprend les exigences jurisprudentielles, en les complétant.
La norme AFNOR n’a pas été consacrée par le législateur et ne représente qu’un « recueil de bonne pratiques », elle n’a donc aucun caractère obligatoire (CA Caen, 14 janv. 2016, n° 14/01620, inédit ; CA Lyon, 28 nov. 2013, n° 12/01964, inédit. ; CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 27 févr. 2013, n° 11/11785, inédit, refusant d’annuler un constat qui ne respectait pas la norme AFNOR), bien qu’une décision plus récente mais isolée semble penser l’inverse (CA Aix-en-Provence, 15 sept. 2016, n° 13/22133).
Il reste que la jurisprudence retient « l’utilité évidente et incontestable de cette norme, qui doit être considérée comme s'imposant à tous les huissiers en allant au delà d'un recueil de bonnes pratiques, sauf à ne lui conférer aucune utilité réelle, alors que les constats sur internet sont amenés à se multiplier » (CA Bordeaux, 20 novembre 2018, n° 16/06735). Le respect des préconisations de la norme AFNOR est donc largement recommandé.
Toujours est-il qu’il appartient au juge du fond d’apprécier souverainement l’efficacité d’un PV de constat d’Huissier de justice dressé sur Internet qui ne respecterait pas les prérequis techniques précisément établis par la jurisprudence et la norme précitée, afin de conférer ou non une force probante à ce type de pièce (CA Colmar, ch. 1 a, 18 décembre 2020 n° 19/00548 ; Tribunal judicaire de Paris, 3ème chambre, 1ère section, 8 juillet 2021 ; CA Toulouse, 3e chambre, 26 Octobre 2021, n° 20/03195), et non à la Cour de cassation (Cass.crim.8 janvier 2019, n° 18-80748).

3) Focus : dans le cas particulier des PV de constats d’achat sur Internet, les missions de l’Huissier de justice et du tiers acheteur ont récemment été précisées, afin d’assurer l’efficacité des constats dans le respect des obligations de loyauté, d’objectivité et d’impartialité s’imposant à l’Huissier de justice :

Le tiers acheteur doit être indépendant du requérant (Cour de cassation 25 janvier 2017 no 15-25.210), ce qui signifie qu’il ne peut être ni son avocat, ni le stagiaire de celui-ci (Cass. 1re civ., 25 janv. 2017, n° 15-25.210 : JurisData n° 2017-000971), ni le salarié de l’entreprise requérante (Cour d'appel, Paris, Pôle 5, chambre 1, 9 Mars 2021 – n° 18/09152 ; Cass. 1re civ., 25 janv. 2017, n° 15-25.210), ni le président de la société requérante (TGI Lille, référés, 12 mars 2019, n° 19/00012), ni, par précaution, le clerc de l’Huissier de justice, bien que la jurisprudence précise seulement que le tiers acheteur doit être « une personne extérieure à l'étude et sans lien avec la personne de l'huissier de justice » (TGI Paris, 22 nov. 2018, n° 17/12253, TGI Paris, 22 mars 2019, n° 17/17298).

En revanche, il a récemment été jugé que le tiers acheteur peut être le Conseil en Propriété Industrielle (CPI) du requérant, en raison des règles déontologiques auxquelles il est soumis (pourtant au même titre que l’Avocat du requérant, qui ne peut avoir la qualité de tiers acheteur !) (CA Paris, pôle 5, ch. 2, 29 janv. 2021, n° 19/04589).

Ainsi, le tiers acheteur ne doit pas présenter de lien de parenté, alliance, association ou subordination avec l’Huissier de justice appelé à établir le PV de constat d’achat, sous peine d’être écarté des débats. Toutefois, dans le PV de constat d’achat, le silence sur la qualité de tiers au requérant ne crée pas une présomption de relation de subordination entre le requérant et le tiers acheteur (Cour d'appel, Paris, Pôle 5, chambre 4, 3 Avril 2019 – n° 16/23231 ; Cour d'appel, Paris, Pôle 5, chambre 1, 19 Octobre 2021 – n° 19/21444 ; TGI Paris 06 avril 2021, n°19/14801).

L’Huissier instrumentaire ne peut acheter un produit pour en constater la vente en vertu de ses obligations de loyauté, d’impartialité et d’objectivité, sans être assisté d’un tiers acheteur, mais la livraison du produit acheté peut être effectuée en son Etude (CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 25 oct. 2016, n° 15/05739, inédit), aussi bien qu’au Cabinet de l’Avocat du requérant (CA PARIS 16 mars 2021, n° 19/09575), ou encore celui du CPI qui a effectué la commande (CA Paris, pôle 5, ch. 2, 29 janv. 2021, n° 19/04589).

Attention : à réception, l’Huissier doit constater que le colis est ouvert en sa présence, et l’ouverture du colis doit donner lieu à un PV de constat afin que le lien entre la commande effectuée par le tiers acheteur et le colis reçu soit constaté (CA Paris 16 mars 2021, n° 19/09575 ; CA Paris, pôle 5, ch. 2, 29 janv. 2021, n° 19/04589).

GPI Avocats vous accompagne pour faire appel à un Huissier de justice compétent afin de diligenter un constat sur Internet et vérifier la conformité dudit constat avec les différents textes et décisions jurisprudentielles exposées ci-dessus, afin d’en assurer ainsi la validité et l’efficacité.

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